Interview d’une psychologue clinicienne.
Il n’est pas toujours facile de détecter un enfant précoce, de savoir s’il est réellement en avance pour son âge. Nous souhaitons en tant que parents que nos enfants aient certaines facilités intellectuelles, mais il faut savoir que cette « précocité intellectuelle » est parfois synonyme de difficultés pour l’enfant et son environnement.
Nous avons interrogé Déborah Girard, psychologue clinicienne à Croix (proche de Lille) sur les attitudes à adopter pour accompagner au mieux le développement d’un enfant précoce.
Quelle serait selon vous la définition d’un enfant précoce ?
Un enfant intellectuellement précoce (EIP) est un enfant dont le développement intellectuel est en avance par rapport à celui des enfants de son âge.
Il présente des aptitudes intellectuelles particulières (ex. : il apprend très vite), associées à une grande sensibilité. Il y aurait plus de 2 % d’enfants précoces en France, ce qui signifie que dans une classe, il peut y avoir un voire deux enfants intellectuellement précoces.
À partir de quand considère-t-on qu’un enfant est précoce ?
En général, on considère qu’un enfant est précoce s’il dispose d’un QI supérieur à 130.
Il peut réussir son parcours scolaire sans fournir trop d’efforts, mais peut aussi y rencontrer des difficultés, car le milieu de l’école peut ne pas être adapté à son niveau. Il s’y ennuie alors et n’acquiert pas le goût de l’effort car il n’en ressent pas la nécessité.
Comment reconnaître un enfant intellectuellement précoce ? Quelles sont les caractéristiques typiques liées aux enfants précoces ?
Il n’existe pas de catalogue où sont énumérés les différents caractères.
Ce sont des enfants en apparence comme les autres. Il y a cependant quelques signes qui peuvent alerter l’entourage de l’enfant…
Voici ce que j’ai pu constater dans le cadre de ma pratique :
Sur le langage : une majorité d’enfants intellectuellement précoces débute le langage assez tôt et parle plutôt bien. Pour ceux qui commencent à parler plus tardivement, on constate qu’ils parlent tout de suite parfaitement, un peu comme s’ils avaient attendu de bien maîtriser le langage avant de se lancer.
Sur les interrogations : ce sont des enfants qui ont beaucoup d’interrogations, pas toujours liées à leur âge. Un thème récurrent est celui de la mort. Ils comprennent très tôt, largement avant 6 ans, l’irréversibilité de la mort et posent des questions même si vous n’avez jamais évoqué ce thème avec eux ou en leur présence. Ils peuvent vous interroger sur l’intérêt de la vie, le fonctionnement de l’univers, l’existence de Dieu. Les enfants précoces posent des questions pointues sur des sujets qui les passionnent. S’ils se prennent d’intérêt pour un thème particulier, que ce soit la mythologie ou les dinosaures, ils l’étudieront de façon approfondie et le maîtriseront. Leur sens de l’humour est également très développé et ce, très tôt.
Sur l’émotivité : ces enfants ont souvent une émotivité très forte. Ils sont très sensibles à l’injustice et intègrent très jeunes la notion de l’inégalité. Ils sont aussi très empathiques : très tôt, ils détectent et comprennent la souffrance, là où d’autres passent sans s’arrêter.
Comme ce sont des enfants, ils n’ont pas les armes nécessaires pour faire face à toutes leurs interrogations, ce qui leur occasionnent parfois des angoisses qui leur sont difficiles à gérer.
Et à l’école ?
Il est indispensable de poser un diagnostic de précocité dès lors que l’enfant ne vit pas bien sa vie scolaire. Reconnaître un enfant intellectuellement en avance permettra de l’aider à surmonter les difficultés qu’il ne manquera pas de rencontrer lors de ses apprentissages. En effet, même si l’école élémentaire ne lui pose pas de problèmes, l’enfant précoce n’acquiert pas de méthode réelle pour apprendre… et il risque d’en payer les conséquences pendant sa scolarité au collège.
La précocité chez les filles est moins spectaculaire que chez les garçons. Les filles ont une telle volonté (ou une telle pression…) de correspondre à l’image que l’on attend d’elles socialement qu’elles font taire les désagréments liés à leur précocité.
Je mets en garde les parents. Ce n’est pas parce que votre enfant est précoce qu’il aura plus de facilités à l’école. En outre, l’annonce de sa précocité au corps enseignant peut nécessiter beaucoup d’explications, car elle peut susciter certaines réticences, voire des réactions inappropriées.
Certains vont jusqu’à dire que tous les parents pensent leur enfant précoce. Cela peut être (en partie !) vrai, mais les parents d’enfants précoces sont souvent les derniers à s’en rendre compte. C’est souvent l’entourage scolaire ou d’autres parents qui les détectent, comme je l’observe parfois dans mon cabinet.
Que deviennent les enfants intellectuellement précoces en grandissant ?
Ils deviennent des adultes doués… C’est pourquoi le terme « précoce » n’est pas particulièrement approprié car les enfants doués restent doués en devenant adultes.
Est-ce que ces enfants ont une forme différente d’intelligence ?
Oui, car les enfants doués apprennent plus vite et montrent plus de logique et de rigueur dans leurs raisonnements. Même s’ils ont des centres d’intérêt plus nombreux, ils ne sont pas forcément doués dans tous les domaines. Ils peuvent être particulièrement maladroits, ne pas savoir chanter ou dessiner…
Quels conseils donneriez-vous aux parents qui ont un enfant précoce ?
Si vous vous interrogez sur la précocité de votre enfant, faites-lui passer un test de QI pour mieux le comprendre et repérer ses points forts et ses points faibles. Vous pouvez aussi vous rapprocher des associations qui guident, organisent des rencontres et proposent des activités ponctuelles pour les enfants doués comme l’ANPEIP (Association nationale pour les enfants intellectuellement précoces) ou l’AFEP (Association française pour les enfants précoces).
Je conseille aussi deux ouvrages : Le livre de l’enfant doué, d’Arielle Adda aux éditions Solar et L’enfant surdoué, de Jeanne Siaud-Facchin aux éditions Odile Jacob.